Quand avez-vous créé pour vous, pour la dernière fois ?

Dans cet article issu de notre newsletter Open! Lisa, Senior Product Designer chez Source.paris, partage sa vision personnelle de la créativité, au-delà des processus et des contraintes professionnelles.

Vous avez certainement déjà vu son travail : ses illustrations illuminent notre site et celui dédié à nos 10 ans.

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Je suis convaincue que tout le monde est créatif. Les artistes, designers, cinéastes et autres professionnels de la création ont peut-être monopolisé le “marché” de la créativité, mais en réalité, elle est universelle. Et quand elle ne trouve pas d’espace pour s’exprimer, je ressens une forme de frustration intérieure grandir. Être créatif, uniquement pour soi, me semble essentiel.

J’en ai pris conscience après avoir passé quelques années à travailler comme designer sans créer quoi que ce soit de personnel. Pour moi, cette soupape, c’est l’illustration. Quand j’ai recommencé à dessiner, j’ai commencé à observer mon processus de manière plus intentionnelle. Aujourd’hui, j’ai envie de partager ce que j’ai remarqué, en espérant que cela encouragera d’autres à débuter, ou à poursuivre, leur propre pratique créative, juste pour le plaisir.

Un cadre créatif souple

Quand j’ai repris le dessin, c’était totalement libre. Mais avec le temps, j’ai remarqué que cela suivait vaguement le modèle du “double diamant” utilisé en design. Les phases d’ouverture (divergence) et de concentration (convergence) sont toujours là. Ce dont on parle moins, c’est le rôle de l’inspiration tout au long de ce processus, et surtout, ce qui se passe en dehors de celui-ci. Rencontrer de nouvelles personnes, découvrir des lieux, outils ou idées : tout cela nourrit la créativité.

Autre chose souvent négligée dans le modèle du double diamant est, peut-être de manière controversée, la nécessité des pauses.

Mes trois points de départ

Quand je commence une illustration, cela part généralement d’un de ces trois scénarios :

1. Aucune idée : j’ouvre mon iPad et je dessine sans but précis. Parfois il en sort quelque chose de sympa, parfois rien du tout. Je considère ces dessins comme des "gribouillages absurdes", sans signification, sans pression.

2. Une étincelle du réel : Par exemple, entendre une conversation dans un café et dessiner ce moment.

3. Une démarche structurée : venue plus tard pour moi, influencée par le design thinking. Elle commence par l’analyse d’un brief, l’extraction de métaphores, un brainstorming en solo ou en équipe, puis des croquis comme on ferait pour des wireframes.

Ce mélange de créativité structurée et non-structurée crée une tension saine. Les dessins absurdes et les travaux conceptuels s’alimentent mutuellement avec le temps, donnant naissance à des illustrations qui combinent jeu, précision et intention.

L'importance du jeu

Le jeu est essentiel. La créativité ne peut pas s’épanouir sous la pression. Quand l’esprit est tendu, il se referme. Le jeu, lui, l’ouvre.

Mon terrain de jeu créatif, c’est Procreate sur iPad. Il est rempli d’esquisses inachevées que je n’ai jamais partagées. Ce ne sont pas des œuvres profondes, elles sont juste pour moi. Cet espace sans jugement, c’est vital. Comme le dit Julia Cameron dans The Artist’s Way :

“Il est impossible de progresser et d’avoir l’air bon en même temps.”

Elle a raison. Grandir demande de l’intimité.

Cela dit, il faut un équilibre. Parfois, partager peut être motivant, à condition que ce soit à ses propres conditions. Un jour, une amie illustratrice très douée m’a dit que mes dessins étaient “un peu plats”. À ce moment-là, je prenais juste plaisir à dessiner. Sa remarque m’a démotivée, même si elle était malheureusement juste. J’ai fini par apprendre à filtrer les retours : les chercher quand je suis prête, et me garder du temps pour explorer et jouer.

Voler comme un artiste (Inspiration)

Picasso disait :

“Les bons artistes copient, les grands volent.”

Même si, ironie du sort, il a lui-même volé cette phrase à quelqu’un d’autre. L’idée ? Un bon artiste va copier un style à l’identique. Un grand artiste, lui, va extraire des éléments et les intégrer à son propre mélange.

Autrement dit : voler de manière créative, ce n’est pas reproduire, c’est réinventer. On emprunte des techniques, des idées, des styles, et on crée quelque chose d’unique. Pour notre projet Ten Years of Source, le moodboard mélangeait mes illustrateurs préférés et les inspirations de l’équipe. J’ai repris la symétrie et les fonds sombres d’un artiste, que j’ai ensuite mélangés à mon style. On peut tracer cette influence jusqu’au rendu final.

J’ai repris la symétrie et les fonds sombres d’un artiste, que j’ai ensuite mélangés à mon style. On peut tracer cette influence jusqu’au rendu final.

À retenir :

• Il est difficile de développer une nouvelle vision sans nouvelles influences (les mouvements artistiques et les tendances design fonctionnent toujours comme ça).

• Au final, le résultat ne ressemble jamais à l’original. Votre style ressort toujours.

• En vous appropriant des techniques “volées”, votre travail évolue vers autre chose.

"Juger vos premiers essais créatifs est une forme de maltraitance envers l'artiste." - Julia Cameron

Prendre du recul, faire une pause (Affiner)

Voici trois outils simples que j’utilise toujours pour affiner mes illustrations :

• Faire une pause et y revenir plus tard. La distance apporte de la clarté.

• Retourner l’image. Le miroir permet de détecter immédiatement les problèmes de symétrie. Et si votre support n’est pas visuel, trouvez un nouvel angle pour observer votre travail.

• Changer d’écran. Charger un dessin sur un autre appareil (iPad, téléphone, ordinateur) permet souvent de repérer des détails invisibles jusque-là.

J’ajoute à cela les retours extérieurs. J’échange souvent avec des collègues, amis ou membres de ma famille. Au bon moment, un regard neuf peut tout changer.

Et puis il y a ce que j’appelle “l’effet douche” : “Plutôt que de forcer l’inspiration ou de chercher une idée à tout prix, des études sur les 15 dernières années montrent qu’on est souvent plus susceptible d’avoir un déclic créatif en accomplissant une tâche automatique et routinière, comme se doucher, faire la vaisselle ou marcher. Cela permet à l’esprit de vagabonder, ce qui favorise l’émergence de souvenirs inattendus et de nouvelles idées.”
— National Geographic, The science of why you have great ideas in the shower, par Stacey Colino

En d’autres termes : en faisant une activité banale, votre subconscient se met à résoudre les problèmes créatifs. Je vis ça tout le temps et j’ai été ravie de découvrir qu’il existe une explication scientifique à ce phénomène.

En conclusion

Mon processus créatif suit un schéma général : Idée → Jeu → Inspiration → Affinage. Mais en réalité, ce n’est pas linéaire. Ces étapes se croisent, se répètent, parfois dans un ordre complètement différent. Chez d’autres, ce chemin peut être totalement autre.

La créativité n’est pas une formule figée. C’est un cycle vivant, en constante évolution. L’expérimentation nourrit le travail abouti. Les idées naissent de sources inattendues. Les pauses, les retours, et le travail du subconscient jouent tous un rôle.

Ce que je partage ici, c’est simplement mon expérience personnelle. J’aime échanger avec d’autres autour de la créativité, découvrir leurs méthodes, explorer la psychologie derrière leurs gestes. Cette curiosité ne cesse d’alimenter et de transformer ma propre pratique.

Et l’IA dans tout ça ? Va-t-elle tuer la créativité ?

Impossible aujourd’hui de parler de créativité sans évoquer l’intelligence artificielle. Voici comment je vois les choses : autrefois, le dessin était le seul moyen de représenter une image, jusqu’à l’arrivée de la photographie. Pourtant, on continue de dessiner. On utilise même la photo comme support ou référence. Je vois l’IA de la même manière : un outil, qui peut enrichir le processus créatif. L’enjeu, c’est de savoir quand s’en servir… et quand s’en passer pour faire appel à ce que l’humain a d’unique.

Le cerveau humain fonctionnera toujours de façon étrange, imprévisible. Et on aura toujours ce besoin irrépressible de l’exprimer. L’IA ne nous enlève rien du plaisir de dessiner, de faire de la musique, de prendre des photos ou de créer. Ces moments restent les nôtres, pour nous, et pour notre propre joie.